Quatre questions à poser avant de commencer un projet numérique

Blogue écrit par Nick Walshe, Orchestres Canada

Le mois dernier, j’ai assisté au symposium Digital Stage de La Compagnie d’opéra canadienne (COC). Le projet Digital Stage (scène numérique) découle d’une collaboration entre la COC, le Ballet national du Canada et le Collège Sheridan, et est appuyé par le Conseil des arts du Canada. Ce projet a été conçu dans le but de nous faire explorer et adopter les nouvelles technologies dans le domaine des arts et d’outiller les organismes artistiques afin qu’ils s’épanouissent dans cet environnement numérique en constante évolution. Ce symposium a mis en lumière une vaste gamme de technologies de pointe, des applis permettant de créer de l’engagement auprès de l’auditoire écoutant des prestations musicales (l’année dernière, nous avons présenté les aventures de la Winnipeg Symphony Orchestra qui avait créé une appli d’engagement de l’auditoire) aux dispositifs intelligents que peuvent porter les interprètes et artistes pour surveiller leur corps. De plus amples renseignements sur ces technologies se trouvent dans leur document intitulé Digital Horizon Scan.

Télécharger le document Horizon Scan ici.

Il n’est pas étonnant qu’aucune des technologies présentées ne se soit démarquée comme pouvant vraiment tout changer pour les orchestres. La question touchant la façon dont nous échangeons avec nos auditoires, soit avec les technologies numériques ou lors de spectacles en direct, se complique davantage en raison des différentes tailles d’orchestres et de la diversité des communautés que nous servons. Je suis sorti du symposium avec plus de questions que de réponses. J’ai donc pensé qu’au lieu de vous transmettre une liste de nouvelles technologies à explorer, il serait préférable de vous faire part des questions qui me revenaient à l’esprit lorsque nous examinions comment les orchestres peuvent s’aventurer plus loin dans le monde numérique. Bien qu’elles ne soient pas exhaustives, ces quatre questions ont pour but de stimuler la discussion et donner matière à réflexion avant d’entreprendre un nouveau projet numérique.

Quel problème tente-t-on de régler en entreprenant ce projet?

On dit que toute solution a un problème. Il est important d’examiner quels problèmes on veut résoudre grâce à l’adoption de la technologie et quelles autres solutions pourraient régler ce problème. Lorsque l’utilisation de la technologie s’impose de manière qui n’est pas naturelle, voire artificielle, nos auditoires le savent très bien. Les ressources des organismes artistiques étant très limitées, il faut veiller à ce que l’investissement dans la technologie s’harmonise aux objectifs de l’organisme. Voulons-nous sensibiliser l’auditoire? Augmenter le nombre de spectateurs? Cherchons-nous à enrichir l’expérience des spectateurs en leur offrant la diffusion continue en direct ou de nouveaux moyens de participer en mode numérique?

Est-ce que cela a déjà été fait? Est-ce que cela a fonctionné?

Bien que les orchestres canadiens se situent dans différentes collectivités ayant différents goûts, différentes forces et des compositions démographiques distinctes, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue chaque fois qu’on met en œuvre un projet numérique. Il vaut la peine de déterminer qui utilise la nouvelle technologie qu’on envisage de mettre en œuvre et examiner les leçons tirées après son utilisation. Ces exemples peuvent être tirés d’ailleurs, pas seulement dans le monde des orchestres. Nous pouvons en apprendre beaucoup de l’utilisation de la technologie dans d’autres formes artistiques, soit la danse, le théâtre et les arts visuels.

Quel effet la technologie a-t-elle sur le produit en direct?

Ou encore, en quoi consiste le produit en direct, au juste? Chaque examen de la sphère technologique a la possibilité de nous faire mieux comprendre le produit en direct que nous présentons. Nous parlons souvent de l’expérience en direct comme étant l’aspect le plus important des œuvres orchestrales. Pouvons-nous offrir cette expérience à plus de gens? La technologie que nous planifions utiliser enrichira-t-elle l’expérience de l’auditoire, ou y nuira-t-elle? Dans un monde numérique, il est aussi important de reconnaître l’importance de l’engagement offert en ligne aux gens qui ne sont pas en mesure de se rendre à la salle de concert pour différentes raisons.

Quelles ressources nous manque-t-il pour offrir cette expérience?

Quoique plusieurs organismes artistiques travaillent selon leurs limites (d’autres doivent même repousser les limites), il est important de préparer un plan permettant de relever les lacunes en matière de connaissances ou de ressources. Les enjeux touchant le temps, l’argent et les connaissances au sein d’un organisme sont cruciaux. Faut-il examiner la possibilité d’engager un conseil expert externe et combien d’heures de rémunération avons-nous les moyens de payer? Y a-t-il d’autres voies de financement qui pourraient nous aider à financer de projet?

Ces questions sont conçues pour entamer la discussion avant d’entreprendre un projet numérique. D’autres conversations importantes suivront sans doute. Nous sommes enthousiastes à l’idée des nouvelles possibilités technologiques qui se présentent dans le secteur des orchestres et des arts, mais nous reconnaissons que la technologie bouge à un rythme rapide et que des investissements solides de temps et de ressources doivent être chapeautés par les décideurs de nos orchestres.

Le projet Digital Stage est en cours et se terminera en juin 2020. En savoir plus à https://coc.ca/digitalstage.

La Winnipeg Symphony Orchestra dans le monde numérique

Daniel Raiskin et le Winnipeg Symphony Orchestra

Les orchestres cherchent toujours de nouvelles façons d’élargir leur auditoire et d’échanger de manière plus enrichissante avec leur public. Plusieurs orchestres sont d’avis que les auditoires vieillissants et l’abandon des programmes d’enseignement spécialisé de la musique dans les écoles sont les raisons qui sous-tendent le recul lent, mais constant, du nombre de spectateurs. Toutefois, depuis quelques années, les orchestres veulent combler cette lacune relative à l’enseignement spécialisé de la musique et à se rendre plus attrayants aux yeux des jeunes tout en tissant des liens plus profonds avec leur clientèle actuelle. Il y a plusieurs façons d’y parvenir comme tenir des séances de discussion avant les concerts ou offrir des guides de type « Symphonies 101 ». Qu’a fait la Winnipeg Symphony Orchestra (WSO)? Elle s’est lancée dans le monde numérique.

WSO a utilisé une application d’accompagnement appelée EnCue à trois de ces concerts cette année et a l’intention de s’en servir lors de plusieurs autres concerts à venir. EnCue est une application à téléchargement gratuit qui envoie en direct durant le concert des notes sur le programme, des images et des récits. WSO a lancé cette application à son concert du 18 octobre où l’orchestre présentait Symphonic Dances de Sergei Rachmaninoff. Les utilisateurs de l’application n’étaient pas séparés des autres membres du public, mais l’écran de l’application est faiblement illuminé et les lumières de la salle de concert étaient douces afin de ne pas déranger les non-utilisateurs. Bien que plusieurs orchestres en Europe et aux États-Unis aient intégré des technologies similaires à leurs concerts, c’est une première au Canada.

Chef d’orchestre adjointe RBC, Naomi Woo pendant le concert. Photo : Ruth Bonneville, Winnipeg Free Press

Selon Jean-François Phaneuf, vice-président des activités artistiques du WSO, les avantages de cette application comportent un double aspect. « Nous sommes ravis d’utiliser cette application pour attirer de nouveaux spectateurs et d’améliorer le niveau d’engagement auprès des auditoires actuels et potentiels. Les gens ont été profondément touchés par l’expérience. Pendant que le concert se déroule, on a l’occasion de lire ce que pensait M. Rachmaninoff quand il a écrit cette œuvre et lire le témoignage de Daniel Raiskin, directeur musical, qui décrit son attachement personnel à un passage particulier. » Pendant deux mois, Jean-François Phaneuf, James Manishen (associé artistique) et Naomi Woo (chef d’orchestre adjointe RBC) ont travaillé fort pour préparer la documentation nécessaire. Ils ont fait l’essai du contenu auprès du personnel de WSO formé en musique et ceux qui n’ont pas de formation musicale et ont déterminé que les diapositives courtes et les images aidaient les gens à écouter activement. La programmation de l’application s’est avérée exigeante, mais les résultats ont été satisfaisants. Des concepts de base ont été fournis pour ceux qui ne sont pas habitués à la musique d’orchestre et des segments de renseignements plus complexes étaient offerts aux experts. Durant le concert, Naomi Woo était dans les coulisses et suivait la partition afin de synchroniser la musique et les diapositives pour les 200 membres de l’auditoire qui ont téléchargé l’application. Les impressions des utilisateurs de l’application étaient surtout positives. En général, le public s’est montré très enthousiaste à l’idée d’essayer quelque chose de nouveau. Certaines personnes ont exprimé une résistance aux changements apportés à l’expérience qu’ils connaissent et aiment, mais plusieurs avaient l’impression de mieux comprendre l’œuvre qu’ils écoutaient et ont ressenti un lien plus fort avec la musique grâce aux renseignements que leur fournissait l’application.

WSO ne compte pas utiliser EnCue à chacun de ses concerts. Son utilisation est planifiée seulement trois fois cette saison durant une pièce musicale par programme. Les auditoires de WSO auront l’occasion de voir EnCue en action au festival New Music de Winnipeg en janvier lors de la Metropolis Symphony de Michael Daugherty, et en mars 2020 lors de la sixième symphonie de Chostakovich. WSO a toutefois l’intention d’intégrer EnCue à la deuxième moitié de chaque concert durant sa série (B)eyond Classics en 2020-2021. Grâce à la mise en place d’un bureau de soutien technique au concert du 18 octobre, WSO a réussi à éviter la plupart des problèmes techniques. La clientèle plus sérieuse a même demandé de recevoir les diapositives à l’avance afin de se renseigner avant le concert. WSO et Orchestres Canada sont ravis des occasions qui présentent lorsqu’on donne à l’auditoire plus de façons d’accéder à la musique orchestrale de manière qui enrichit la musique présentée sur scène.

Apprenez-en davantage sur la question de technologie numérique dans le domaine des orchestres en lisant notre entrevue avec Fiona Morris de The Space, Bâtir un organisme numérique.

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