Pour des orchestres de jeunes ouverts et une musique inclusive

Photo, Ian RitchieLettre d’Ian Ritchie, conférencier à la conférence nationale d’Orchestres Canada de 2019, aux membres d’OC au sujet du rapport L’orchestre retentit.

Ayant déjà participé aux conférences organisées par vos prédécesseurs de l’Association des orchestres canadiens au début des années 1990, quand je présidais l’Association of British Orchestras et dirigeais le Scottish Chamber Orchestra, j’étais ravi d’avoir été invité de nouveau à participer à vos récentes délibérations à Ottawa. Conscient du caractère palpitant de la période d’innovation et de changement que traversent les orchestres de nos pays respectifs, ainsi que de l’ingéniosité stratégique et de l’effort créatif si clairement à l’œuvre dans nombre d’orchestres canadiens, je vous semblerai peut-être présomptueux d’ajouter des suggestions à votre liste de réponses déjà bien réfléchies au récent rapport L’orchestre retentit. Mais je prends une chance!

L'orchestre retentitJe préconiserais l’établissement d’« orchestres » de jeunes « ouverts », communautaires et socialement inclusifs, en partenariat avec des orchestres professionnels à l’échelle du Canada, comme réponse stratégique et pratique aux revendications exigeantes et catégoriques incluses dans le rapport. Ces orchestres seraient inspirés du modèle du Setúbal Youth Ensemble que j’ai développé au cours des cinq dernières années dans le cadre de mon festival de musique au Portugal. En bref, grâce à un processus d’auditions ouvertes excluant toute hypothèse quant à une structure orchestrale eurocentrique, l’Ensemble résultant a permis de recruter et de conserver environ le quart de ses membres auprès de groupes de tradition auditive, venant de la population locale d’immigrants des anciennes colonies portugaises d’Afrique et d’Amérique du Sud, et un autre quart composé de jeunes à besoins spéciaux et aux prises avec diverses incapacités, tandis qu’environ la moitié des membres viennent du milieu traditionnel de l’éducation musicale, tous étant choisis en raison de leur talent. Comme l’instrumentation dépend des jeunes musiciens retenus plutôt que l’inverse, il n’y a pas de répertoire standard. Toute la musique de l’Ensemble doit donc être spécialement composée ou arrangée pour le groupe : cela a créé des occasions de création uniques pour une génération nouvelle de compositeurs et nécessité des combinaisons inhabituelles d’instruments (y compris l’utilisation de la technologie accessible, au besoin) et l’invention de notations spéciales pour permettre la participation des membres incapables de lire la langue musicale traditionnelle. Cet Ensemble est « l’orchestre de jeunes » officiel de Setúbal.

Je crois qu’il sera important pour les orchestres, s’ils veulent réagir avec résonance au rapport L’orchestre retentit, de poursuivre leur évolution positive et gérable, plutôt que de provoquer une révolution soudaine et éventuellement dommageable. Le modèle Setúbal peut appuyer cette approche en suscitant une action décisive et en veillant à ce que toute « révolution » qui s’impose soit menée par les générations nouvelles et émergentes de musiciens qui misent sur la collaboration. Les ensembles de ce genre – qui formeront des communautés musicales jeunes, novatrices, adaptables, inclusives et diversifiées – auront de bien meilleures chances que les orchestres matures, établis et bien sûr moins souples, de persuader les conservatoires et universités d’écouter leurs revendications en faveur de transformations fondamentales dans leurs parcours d’enseignement et de formation, ainsi que d’y répondre. Ces parcours sont actuellement trop étroits et insuffisamment balisés pour aider les musiciens issus d’une tradition non eurocentrique ou autochtone à faire de véritables progrès; ils sont aussi complètement inaccessibles pour la plupart des personnes ayant des incapacités physiques, des difficultés d’apprentissages et d’autres besoins spéciaux.

Bref, l’adoption du modèle du Setúbal Youth Ensemble, adapté en fonction de chaque ensemble et de chaque communauté, aura pour conséquence, au lieu d’imposer les hiérarchies classiques de l’Occident et ses pratiques en matière de leadership, d’instrumentation, de répertoire, de notation et de méthodes de répétition, de favoriser l’inclusion dans le processus de divers genres musicaux (selon la composition diversifiée du groupe), d’œuvres et d’arrangements nouveaux, de l’improvisation, de la créativité mutuelle et d’échéanciers réglables. Cette approche n’est pas nécessairement coûteuse; elle est accessible pour les jeunes musiciens de tous les milieux et peut aider à répondre aux préoccupations exprimées par les défenseurs de l’équité, surtout parmi la population autochtone. En plus, elle multiplie pour les compositeurs et autres artistes créateurs les occasions de collaboration; elle peut promouvoir la musique comme forme artistique et plus largement sur divers fronts, y compris celui de son potentiel éprouvé mais inexploité sur les plans du développement, de la santé et du bien-être personnels. Cela aurait un succès retentissant!

Ian Ritchie (Londres, Angleterre, juillet 2019)