Alors que le comité de défense des intérêts d’Orchestres Canada est resté silencieux ces derniers mois, le groupe (désormais présidé par Maxime Lataille, membre du conseil d’administration d’OC, de l’Orchestre symphonique de Montréal) a travaillé dur en coulisses, s’engageant auprès des décideurs et soumettant des mémoires dans le cadre d’une série de processus consultatifs au niveau fédéral.
Parmi les points forts de notre travail récent, citons la soumission d’OC au Conseil des Arts du Canada dans le cadre de sa consultation sur la planification stratégique. Nous y avons formulé trois recommandations (dont la version complète est présentée ci-dessous) :
Recommandation 1 : Créer un supplément à l’innovation dans tous les programmes de subventions qui incite spécifiquement le processus
En abordant le numérique différemment
Recommandation 2 : Réimaginer l’approche du Conseil en matière de numérique en débloquant des fonds pour les projets et les opérations numériques
En affinant et en faisant évoluer les critères et l’évaluation de la diversité et de l’innovation
Recommandation 3 : Faire évoluer les critères de candidature pour aider les groupes à articuler leur progression vers la diversité, l’inclusion et l’innovation
Le paysage actuel pour les orchestres canadiens
Bien avant la COVID-19, les orchestres canadiens ont affronté et à bien des égards surmonté des défis de taille. Comme l’ont révélé les recherches du Conseil des arts lui-même, les orchestres ont dû compenser une diminution proportionnelle des fonds publics (plus précisément, une baisse relative de 12 % en proportion des autres recettes entre 2010 et 2017) en se concentrant sur le revenu gagné et les contributions privées. Maintenant, à cause des conséquences majeures de la pandémie sur ce revenu et ces contributions, les orchestres se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. Malgré tout, ils continuent à fournir du travail aux artistes.
Presque tous les orchestres professionnels du Canada ont respecté leurs engagements financiers envers ces derniers même durant les périodes les plus incertaines et éprouvantes de la pandémie. La programmation orchestrale en cette ère de pandémie a inclus et continuera à inclure les éléments suivants :
● des approches créatives en matière de création, de présentation et de partage numériques;
● des concerts respectant les exigences de distanciation physique;
● des prestations de petits ensembles;
● des concerts en plein air;
● des concerts de courte durée dans des salles offrant une souplesse dans l’assignation des places;
● des partenariats avec des éducateurs et des organismes communautaires tirant parti, de façons inédites, des compétences des musiciens.
Ces programmes misent sur les talents et la créativité des musiciens, redéfinissent les relations entre les orchestres et la communauté, et exploitent les options numériques, donnant ainsi accès à plus de Canadiens que jamais au travail de leurs orchestres. Ces stratégies favorisent, nous l’espérons, un retour harmonieux, au moment opportun, à une programmation intégrale et éventuellement élargie. En « gardant le groupe ensemble », en favorisant l’innovation, en conservant le personnel clé et en maintenant un contact musical étroit avec les communautés durant cette crise, nous sommes convaincus que les orchestres seront bien placés pour reprendre leurs activités, aussitôt que possible, et accueillir de nouveau des publics nombreux, en étroite proximité et dans des espaces clos.
Bien que des programmes de ce genre ne puissent générer le même montant de recettes qu’une saison de concerts normale, Orchestres Canada croit que, grâce au soutien requis provenant de sources de recettes non gagnées, les orchestres peuvent continuer à rémunérer les artistes tout en faisant preuve de plus d’innovation, en prenant plus de risques sur le plan artistique et en mettant à l’essai des approches complètement nouvelles dans des secteurs en croissance clés comme la diversité, l’inclusion et l’innovation numérique.
C’est à cet égard que le Conseil des arts peut aider.
Un avenir plus solide et durable pour les orchestres canadiens
Les orchestres et la lutte contre le racisme et la discrimination
Comme le Conseil des arts et le milieu des arts en général, Orchestres Canada considère l’engagement à lutter contre le racisme et la discrimination comme le fondement même de l’art et de la créativité. Nous reconnaissons aussi l’importance vitale d’insister sur les trois différentes dimensions de la diversité et de l’inclusion telles que définies par le Conseil, soit la représentation dans la programmation, au niveau de la direction administrative et bénévole, et en ce qui concerne le public participant, pour veiller à ce que ces valeurs s’expriment par une action soutenue.
Bien que les orchestres canadiens aient mené de nombreuses initiatives créatives et collaboratives soulignant la diversité et remis en question les origines coloniales des orchestres, nous avons cerné des éléments fondamentaux qui ont nui à leurs progrès en vue d’intégrer à leur nature même, de manière permanente et authentique, la lutte contre le racisme et la discrimination.
Nous avons collectivement à cœur de changer. Toutefois, la structure financière des orchestres fait qu’il est difficile d’opérer le changement et l’évolution nécessaires : les orchestres sont insuffisamment capitalisés. Le rapport du Conseil des arts de 2019 intitulé Un portrait de 47 orchestres symphoniques révèle que les orchestres doivent composer avec des ratios capitaux d’emprunts / capitaux propres et des niveaux de fonds de roulement et d’investissement dans les immobilisations qui sont loin d’être optimaux . Ensemble, ces éléments nuisent à la planification à long terme, l’innovation et la véritable inclusion. Cette réalité, combinée à l’ensemble des facteurs socio-économiques qui favorisent le cheminement des musiciens professionnels vers des postes au sein des orchestres et attirent les membres du public vers les salles de concert, signifie que les orchestres canadiens sont constamment en mode de rattrapage en ce qui concerne la diversité.
Le discours, les approches et les actions des orchestres évoluent rapidement dans le contexte des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, des perturbations résultant de la pandémie et de l’énergie générée par les mouvements sociaux courants. Voici quelques exemples : le cours Musical Herstory du Saskatoon Symphony Orchestra, mettant en valeur les compositrices, le programme TafelTalk intitulé Music as Resistance: Beyond protest songs du Tafelmusik Baroque Orchestra et celui du Toronto Symphony ayant pour titre Socially Connecting with Seniors through Music révèlent tous le potentiel qui existe dans notre secteur. Les orchestres saisissent l’occasion créée par la pandémie de redéfinir leur relation avec la lutte contre la discrimination au moyen de programmes d’inspiration artistique, novateurs, accessibles et expérimentaux. Mais pour que ces approches puissent être exécutées au-delà des contraintes de la pandémie, les orchestres doivent avoir accès à de nouveaux types de financement expressément conçus pour encourager et récompenser la perturbation, ainsi que l’expérimentation, quitte – parfois – à échouer. Nous croyons que le Conseil des arts du Canada peut aider.
Les orchestres et le revenu des artistes
Des investissements soutenus dans les organismes artistiques (y compris les orchestres) aident à garantir un revenu fiable et stable aux artistes, tout en aidant l’ensemble du secteur durant la pandémie et après.
Ce sont les orchestres qui rémunèrent les artistes. Le financement de base des organismes artistiques comme les orchestres est un moyen efficient de veiller à ce que des nombres importants d’artistes soient rémunérés et aient les structures nécessaires en place pour partager leur art avec les communautés. Bien que les orchestres fournissent aussi l’infrastructure requise pour appuyer des projets ambitieux allant bien au-delà de ce qu’un artiste peut accomplir au niveau individuel, la rémunération des artistes constitue la plus grande part de leurs dépenses.
C’est ce que démontrent les recherches du Conseil des arts lui-même : en 2016-2017, les orchestres canadiens ont consacré près de 70 % de leurs budgets annuels et plus de 80 % de leurs dépenses à des fins artistiques aux cachets et honoraires professionnels des artistes, des travailleurs des arts et des personnes dans des secteurs d’activités connexes3 . Durant cet exercice, le tiers des orchestres symphoniques du Canada ont, à eux seuls, versé près de 100 millions de dollars aux artistes, aux travailleurs culturels et aux membres du personnel technique.
L’investissement public dans les orchestres crée un intérêt composé pour ce qui est du revenu des artistes. Chaque contribution publique d’un dollar au niveau organisationnel a un effet beaucoup plus marqué vu le revenu gagné et privé qu’elle favorise. En plus d’aboutir directement dans les poches des artistes actifs, une grande part de ce revenu global se trouve multipliée par la voie des nombreuses possibilités d’emploi rémunéré que les orchestres créent en dehors de leur organisation.
L’existence des orchestres est fondamentale pour le revenu des musiciens à la grandeur du pays. Les orchestres permettent aux musiciens de mener leur vie avec dignité et de faire une contribution multidimensionnelle partout au pays. Les normes musicales élevées et la formation qu’ils facilitent influent sur l’ensemble de l’écosystème artistique, contribuant ainsi à des niveaux plus élevés d’enseignement, de prestation et d’accès à la musique de tous les genres.
Les orchestres et l’équité en matière de financement
À cet égard également, les orchestres font front commun avec le milieu artistique en général pour ce qui est de revendiquer l’équité en matière de financement. Le rôle du Conseil doit graviter autour du financement amélioré d’un travail bien accompli, basé sur la transparence, la consultation et une confiance dans les artistes et les organismes artistiques. Les cadres d’action et le discours du Conseil en matière d’équité doivent aller au-delà des questions de perception et des catégories pour refléter les besoins, la capacité et les possibilités de transformation qui existent dans tous les secteurs.
Comment le Conseil peut-il aider?
En encourageant le processus autant que le produit
Recommandation 1 : Créer, dans tous les programmes de subvention, un supplément à l’innovation qui encourage tout particulièrement le processus La diversité et l’innovation numérique ont ceci en commun qu’elles exigent toutes deux de mettre l’accent sur le processus.
Si le Conseil veut voir des résultats soutenus sur ces plans, le financement doit récompenser l’expérimentation et protéger contre l’échec. Orchestres Canada suggère de créer un supplément à l’innovation qui serait offert dans tous les programmes en place, un peu comme les fonds supplémentaires versés dans le cadre du programme Soutien à l’accès actuel.
Ces fonds supplémentaires couvriraient les éléments de temps et d’amélioration du processus, deux ingrédients indispensables de l’exploration artistique organique. Cela replace l’établissement de relations au cœur de la créativité et dissocie les tâches d’expérimentation et de développement de la nécessité de se hâter pour mettre sur le marché de nouvelles œuvres. Un supplément qui fait passer l’exploration artistique en premier contribuera à décoloniser les organismes artistiques ainsi que le Conseil des arts lui même.
Nous favorisons aussi une approche fondée sur la consultation et la collaboration, une plus grande sensibilité aux approches vers lesquelles les organismes gravitent naturellement et une poursuite de l’investissement dans la recherche et le développement comme stratégie d’innovation directe.
En abordant le numérique d’une autre manière
Recommandation 2 : Réimaginer l’approche à l’égard du numérique du Conseil en débloquant des fonds pour des projets et des opérations numériques
Le fait que mars 2021 marquera la fin du fonds Stratégie numérique et l’anniversaire de la pandémie donne au Conseil des arts l’occasion de mettre en pratique les enseignements tirés de la Stratégie numérique actuelle (notamment en ce qui concerne les difficultés de verser le volume de subventions prévu par le programme initial) pour faire évoluer son approche. Nous notons que la Stratégie a frustré de nombreux intervenants du milieu orchestral : à cause de l’orientation théorique du programme, l’apprentissage sur le tas, le prototypage accéléré et les échecs rapides étaient essentiellement des activités inadmissibles.
Comme nous l’avons vu durant la pandémie, les approches et tendances dans l’espace numérique progressent à une vitesse vertigineuse. Dans ce contexte, la prochaine itération de l’investissement du Conseil dans le numérique devrait être assez souple pour évoluer avec le secteur plutôt que d’y nuire.
Nous recommandons donc que la prochaine itération des fonds destinés au numérique soit axée davantage vers les projets numériques, leur exécution et leurs opérations. Selon un sondage auprès de ses membres qu’Orchestres Canada a mené en octobre 2020, 74 % des orchestres ont l’intention de poursuivre une partie ou la totalité de les initiatives numériques entreprises durant la COVID et 12 % prévoient en faire plus encore.
Nous exhortons le Conseil des arts à commencer à voir l’espace numérique non pas seulement comme un concept philosophique, mais aussi comme un élément fondamental des stratégies pratiques des organismes artistiques et des programmes qu’ils offrent au public.
En précisant et en développant les critères et l’évaluation de la diversité et de l’innovation
Recommendation 3 : Développer les critères de demande pour aider les groupes à décrire leurs progrès en matière de diversité, d’inclusion et d’innovation
Dans leurs demandes et rapports, les demandeurs de subventions actuels, dans le cadre du programme Inspirer et enraciner, doivent traiter de leur « engagement à refléter la diversité au sein de leur communauté ou région géographique ». Bien que ce critère d’évaluation soit un pas dans la bonne direction, il sert uniquement à évaluer le statu quo au sein de l’organisme. Si le Conseil veut susciter et appuyer le changement, nous recommandons une nouvelle approche.
Nous suggérons de créer une section où chaque organisme doit définir son statu quo, énoncer des buts en fonction des réalités de sa région géographique et présenter un plan décrivant les mesures qu’il entend prendre. Une évaluation fondée sur la solidité du plan plutôt que sur le statu quo encouragera les organismes à intégrer à leur stratégie des changements d’envergure et à long terme.