Du 27 au 29 janvier 2022, l’équipe d’Orchestres Canada a eu le plaisir d’assister à la conférence SphinxConnect: Forging Alliances. La rencontre annuelle, en mode virtuel cette année, a rassemblé une brochette exemplaire d’intervenants du milieu artistique nord-américain (musiciens, administrateurs, membres de conseils d’administration, bailleurs de fonds entre autres) en vue de discuter de la diversité en musique classique, dont notre propre concitoyen et membre du conseil d’administration d’Orchestres Canada, Daniel Bartholomew-Poyser. La conférence a abouti au concours Sphinx annuel pour jeunes musiciens à cordes noirs et d’origine latine, aussi en mode virtuel cette année, mais sans perte de talent ni de créativité.
Dans le blogue qui suit, des membres du personnel d’OC font part de leurs réflexions sur les thèmes qui se sont dégagés de la conférence, mais nous vous encourageons à écouter aussi directement que vous le pouvez les interventions avisées des présentateurs. Les enregistrements des interventions à la conférence sont disponibles gratuitement sur une liste d’écoute au canal YouTube de l’organisation.
À propos de la Sphinx Organization
La Sphinx Organization, fondée par le violoniste et professeur de musique américain Aaron Dworkin, est une organisation de justice sociale basée aux États-Unis ayant pour vocation de transformer des vies par le pouvoir de la diversité dans les arts. Elle a vu le jour en 1997 sous la désignation de Sphinx Competition for young Black and Latinx string players [concours Sphinx pour jeunes musiciens à cordes noirs et d’origine latine]. Le concours a toujours lieu, mais Sphinx a évolué pour offrir un éventail de programmes visant à favoriser l’excellence et à accroître la représentation des artistes noirs et d’origine latine travaillant en musique classique, y compris dans les domaines de l’éducation, de la prestation, de la commande de nouvelles œuvres et de l’offre de possibilités de développement du leadership pour les artistes et travailleurs des arts noirs et d’origine latine.
Réflexions sur la conférence
1- Potentiel humain et innovation
Un thème qui s’est dégagé à maintes reprises des séances auxquelles les membres du personnel d’OC ont assisté est celui du potentiel humain et de l’innovation s’offrant aux orchestras, à condition de s’ouvrir à tout ce que cela peut offrir. Le programme de la conférence a touché à une vaste gamme de possibilités que les orchestres peuvent exploiter, comme la gouvernance, la programmation artistique, l’éducation musicale et l’engagement communautaire. Il existe une mine de talents – tant parmi les artistes émergents que les travailleurs des arts, ainsi qu’une expertise considérable parmi ceux et celles qui œuvrent déjà dans cette discipline artistique – dans laquelle nous pouvons puiser et dont nous pouvons tirer des enseignements.
Comme l’a signalé Achia Floyd durant la séance Rising LEADers, il ne faut pas penser à ce qu’une diversification en musique classique peut faire perdre mais plutôt à ce que l’on a à gagner… soit des occasions de développer le talent et la forme artistique qui existent déjà au sein de l’organisation et de nous épanouir grâce à une collaboration meilleure, plus novatrice et plus inclusive.
2- Un dilemme constant pour les orchestres : maintenir la tradition ou s’adapter aux réalités actuelles
Une observation que le personnel d’OC a particulièrement retenue est la suivante : « La tradition ne consiste pas dans la vénération des cendres, mais dans la préservation de la flamme », qu’a faite Enrique Márquez durant la séance Rising LEADers. Tout à fait! Comment l’art des orchestres et notre pouvoir rassembleur pour permettre au public d’apprécier la musique ensemble peuvent-ils (et vont-ils) servir à nos voisins en 2022 et dans l’avenir?
Depuis quelques siècles, les orchestres ont en général été les défenseurs de la tradition – surtout de la tradition eurocentrique, aux dépens des artistes, travailleurs et membres du public racialisés. Malgré la beauté indéniable de la musique que nous avons interprétée au fil des siècles, durant les séances de SphinxConnect, les intervenants ont à juste titre signalé que, pour assurer la survie et la mise en valeur de la musique classique au 21e siècle, il fallait se préoccuper davantage des besoins et ambitions des communautés dans lesquelles nous vivons, surtout de celles que les traditions eurocentriques ont exclues.
Non seulement est-ce la seule option qui s’offre à nous comme êtres humains antiracistes et artistes, mais la décision de puiser dans une plus vaste mine de talents (pour ce qui est des œuvres jouées, des musiciens qui les interprètent et du personnel en coulisse) enrichit aussi le travail de l’orchestre et est indispensable si nous voulons maintenir notre pertinence et notre valeur. Comme l’a par exemple fait remarquer un panéliste, les milléniaux s’attendent à trouver une diversité dans les milieux artistiques qu’ils fréquentent; si votre orchestre n’est pas un miroir des communautés qu’il dessert, vos publics, actuels et futurs, risquent de vous délaisser.
Jazmín Morales, animatrice du panel Where the Wild Things Are [littéralement Où sont les choses sauvages], a insisté sur le fait que montrer son côté « sauvage » et donc être attentif aux temps étranges que nous traversons signifie qu’il faut penser librement à ce qui est possible et ne pas s’embourber dans les procédures et habitudes. Et comme le panel Higher Registers: Evolving Artistic Excellence l’a fait observer, la pandémie nous a obligés à abandonner de nombreuses habitudes (comme des cycles de planification rigides, la durée des concerts). Comment pouvons-nous continuer à évoluer et à nous adapter aux périodes de turbulence que nous traversons?
3- Maintenir et poursuivre le changement pour le mieux
Dans son allocution de clôture, Weston Sprott a dit avoir vu plus de progrès sur le plan de la diversité et de l’inclusion en musique classique au cours des deux dernières années que durant toute sa vie; mais qui sait si cela va durer. « C’est à nous qu’il appartient de continuer à exercer des pressions pour faire en sorte que le progrès ne soit pas temporaire. »
Les intervenants ont aussi insisté sur la nécessité d’un changement permanent sur le plan de la diversité dans nos disciplines artistiques; pour cela, il faut (comme David Stull l’a signalé) « modifier l’ADN » des institutions artistiques et créer et insérer dans leurs structures des mécanismes nécessitant la poursuite des changements, comme des programmes pluriannuels continus visant le progrès à long terme, plutôt que seulement dans l’instant présent, des artistes de milieux diversifiés.
De nombreux intervenants ont fait valoir la nécessité d’élargir les démarches axées sur la diversité au sein de chaque organisation; ces démarches ne doivent pas être limitées à un seul comité ou rôle. Ils ont souligné l’importance d’aligner les valeurs à tous les paliers décisionnels (conseil d’administration, cadres, bailleurs de fonds), en ajoutant que le changement peut s’opérer dans n’importe quelle équipe ou pour n’importe quel rôle. Par exemple, dans le groupe Learning to Disrupt ‘the White Racial Frame’ in an Industry Rooted In It” les responsables du marketing et des communications ont expliqué comment ils avaient combattu le racisme dans leur travail quotidien au Minnesota Orchestra et donné des exemples de langage raciste par opposition à non raciste.
4- Enfin, et ce n’est pas le moins important… la musique! Conversation avec Juan-Miguel Hernandez, juge du Concours Sphinx 2022
Juan-Miguel Hernandez, altiste natif de Montréal qui s’est taillé une carrière internationale de distinction comme interprète, n’est pas étranger au Concours Sphinx. Durant une conversation à la mi-février avec Boran Zaza (directrice des communications et du développement d’OC) Hernandez a qualifié son premier prix dans la Division Senior du Concours Sphinx de 2006 d’ « amorce » importante dans sa carrière en musique classique :
J’avais cela dans l’âme, mais j’avais besoin qu’on me donne l’amorce nécessaire pour lancer ma carrière. […] C’est connu, il faut être au bon endroit au bon moment. Sphinx fait en sorte qu’on le soit.
Au sujet du concours de 2022, pour lequel il était un des juges, Hernandez a affirmé que chaque jeune interprète arrive avec des compétences techniques exceptionnelles; pour choisir les lauréats, selon lui, les juges recherchent « un sens artistique dans l’interprétation de la musique. […] Nous avons été incroyablement impressionnés par le degré de sens artistique que nous avons observé. » Parce que le concours de 2022 s’est déroulé sous forme virtuelle, les juges ont exprimé leur voix individuellement après les prestations pour choisir les lauréats (plutôt que de se réunir en personne pour arriver à une décision). Malgré le changement dans le déroulement du concours, Hernandez s’est dit « extrêmement satisfait du résultat final de cette année. »
Félicitations aux lauréats du Concours Sphinx 2022!
Division Senior
- Premier prix et gagnant du prix Robert Frederick Smith (50 000 $ : Kebra-Seyoun Charles, contrebasse
- Deuxième prix (20 000 $) : Gabriela Lara, violon
- Troisième prix (10 000 $): Harper Randolph, alto
- Choix du public (5 000 $): Gabriela Lara, violon
Division Junior
- Premier prix (10 000 $) : Jonathan Okseniuk, violon
- Deuxième prix (5 000 $) : Brandon Leonard, violoncelle
- Troisième prix (3 000 $) : Ana Isabella España, violon
- Choix du public (1 000 $) : Brandon Leonard, violoncelle
Liens aux ressources (en anglais seulement)
Enregistrement intégral du Concours Sphinx 2022
Enregistrements de toutes les séances de la conférence SphinxConnect 2022
Notes sur les séances auxquelles ont assisté le personnel d’OC